Un moldave dans la fonction publique française : ”Il faut travailler, il n’y a pas de solution miracle en France”

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Vitali Calistru est originaire de République de Moldavie et fait partie de la génération ‘90, une génération pleine d’espoir née au moment où la Moldavie gagnait son indépendance vis-à-vis de l’URSS. Cette génération se transformera plus tard en une génération de sacrifice, à cause de la migration massive.

Actuellement Vitali Calistru travaille dans la fonction publique en tant qu’agent administratif principal à la Direction Départementale des Finances Publiques de Versailles. Il témoigne sur ER NEWS sur son parcours professionnel en France.

ER NEWS : Né en Moldavie postsoviétique et diplômé en Roumanie, en arrivant en France, sentez-vous un clivage culturel et êtes-vous préparé au quotidien ? 

Vitali Calistru : Je ne m’attendais pas à un choc de civilisation si important. D’une part parce que je pensais avoir un bon niveau de français ce qui n’était pas le cas une fois arrivé ici, et d’autre part parce qu’il fallait non seulement apprendre beaucoup et s’adapter à ce nouveau système mais aussi désapprendre en même temps toutes les connaissances et habitudes acquises dans le passé qui m’enfermait dans des modes de raisonnement et d’action adaptés pour la Moldavie mais inappropriés pour la France.

Pour faire face à ce clivage je m’inspire souvent d’une citation d’Alvin Toffler qui dit : Les illettrés du XXIème siècle ne seront pas ceux qui ne savent pas lire ou écrire, mais ceux qui ne savent pas apprendre, désapprendre et réapprendre.

J’ai donc insisté vraiment beaucoup sur le désapprentissage et sur la suppression des mauvaises habitudes au début, pour pouvoir construire ensuite un nouveau système de valeurs sur un terrain propre.

Concernant les choses qui m’ont aidé ensuite, elles ne sont pas nombreuses, mais je pense notamment à la décision de faire mes études en Roumanie qui a été une très bonne phase de préparation pour tout ce qui est arrivé ensuite, et le fait de ne pas prendre tout pour acquis et de savoir apprécier les choses à leur juste valeur, en d’autres mots, d’avoir connu pire.

Comment les Moldaves sont vus par les Français? Comment se sont-ils intégrés ?

Vitali Calistru : 80 % des Français ne savent pas qui sont les Moldaves et où se trouve ce pays, en Afrique ou en Europe. Parmi les autres 20 % qui sont au courant de notre existence, 15 % ont en général une bonne impression et disent que les Moldaves travaillent bien et sont des gens de confiance, et les 5 % qui restent ont un avis négatif et nous associent souvent aux roms et tsiganes de l’Europe de l’Est. Je précise que c’est une statistique issue de mon expérience personnelle et elle n’exprime peut-être pas la vérité dans son ensemble.

Concernant leur intégration, les choses évoluent parce qu’au début les Moldaves arrivaient en France pour travailler et transférer l’argent en Moldavie afin d’acheter des belles voitures, poser des fenêtres PVC et construire des maisons et de barrières autour de ces maisons pour impressionner leurs voisins. Maintenant les mentalités commencent à changer et je vois de plus en plus de personnes s’installer en France, apprendre la langue, investir dans leurs études et celles de leurs enfants, en d’autres mots, ils commencent à construire des ponts à la place des barrières, ce qui est très encourageant.

Comment appréciez-vous l’évolution des relations franco-moldaves ?

Vitali Calistru : Je vais répondre à cette question d’un point de vue économique. L’accord de libre-échange est une chose très positive pour notre pays, et personnellement j’en suis fier et cela me fait plaisir de voir des noix, des prunes et des raisins d’origine moldave au marché et dans les supermarchés de Paris.

Comment expliquez-vous la Moldavie à vos amis français ?

Vitali Calistru : C’est vraiment compliqué de leur expliquer les choses sous un angle positif. Géographiquement, les Français sont très bien placés et il serait difficile de les surprendre avec un pays sans accès à la mer et sans montagne. Je me tourne donc vers d’autres sujets et je leur parle en général de notre culture, de nos habitudes et de nos éternels conflits Est-Ouest.

Je leur parle aussi de nous, de ceux qui habitent là-bas, qui ont un caractère fort, qui travaillent beaucoup et aspirent comme tous les autres à une vie meilleure pour eux et leurs enfants mais qui à cause de la désinformation et de la corruption n’arrivent pas à s’en sortir et trouvent parfois leur seule consolation dans l’alcool.

Racontez-nous quelles étapes vous avez franchies pour arriver où vous en êtes aujourd’hui.

Vitali Calistru : Les étapes que j’ai franchies sont plutôt d’ordre psychologique. J’ai dû me convaincre que je mérite mieux que le travail dans le bâtiment et que j’ai les mêmes capacités intellectuelles qu’un Français. Après tout j’avais investi du temps et de l’argent dans les études et je voulais voir des résultats.

Quel a été votre parcours académique ?

Vitali Calistru : Je suis parti de chez moi à 15 ans pour continuer mes études au lycée et puis à l’université en Roumanie. J’ai fait 4 ans de lycée à Targu Neamt (Roumanie) et ensuite 3 autres de Licence à l’Université A.I . Cuza de Iasi (Roumanie).

J’ai obtenu ma licence en Relations Internationales et Études Européennes et après je suis venu en France pour continuer et faire une autre licence, en droit privé cette fois, mais je suis entré directement en troisième année grâce au système européen d’équivalence des diplômes à l’Université de Picardie Jules Verne d’Amiens. J’ai obtenu cette deuxième Licence en 2014 et mon parcours académique s’est arrêté là.

Lorsque vous avez obtenu votre diplôme, vous rêviez de travailler en tant que fonctionnaire publique en France ou c’était une coïncidence ?

Vitali Calistru : Pendant mes études, mon objectif n’était pas de travailler dans la fonction publique, pas en France en tout cas. Je voulais retourner en Moldavie pour y construire ma carrière professionnelle. C’est ce que j’ai tenté de faire d’ailleurs, mais après quelques essais et une année perdue, je me suis rendu compte du fonctionnement pourri de notre système et je suis revenu en France avec une direction un peu plus précise cette fois.

C’est à ce moment-là que je suis tombé par erreur sur un site d’inscriptions aux concours et sur la possibilité pour les ressortissants européens d’y participer.

Donc c’est plutôt par hasard que je travaille à ce poste actuellement selon la théorie : si tu es jeune fais-toi un plan avec une liste des objectifs et commence à réfléchir sérieusement à d’autres possibilités parce que ton avenir n’est peut-être pas sur cette liste.

Quelle est la nature de votre travail ? 

Vitali Calistru : Je suis agent administratif principal et je travaille à la Direction Départementale des Finances Publiques de Versailles. Je fais partie du service immobilier de la Division Budget Immobilier Logistique et je m’occupe de la gestion du parc immobilier du département des Yvelines qui appartient où qui est occupé par les Centres des Finances Publiques et Trésoreries du Ministère de l’Économie et des Finances. Même si c’est un travail de bureau, l’activité est très variée et dynamique. On se déplace souvent pour visiter différents Centres des Finances et pour participer à des réunions, pour analyser les besoins et proposer des plans projets de restructuration. Actuellement nous travaillons sur un grand projet de réforme nommé Nouveau Réseau de Proximité qui vise une relocalisation plus optimisée des services de la Direction Générales des Finances publiques dans les territoires, pour faire des économies d’une part et pour être au plus près des Français d’autre part.

On rencontre des difficultés assez souvent, mais j’ai pris l’habitude de les voir comme des opportunités pour apprendre et évoluer.

Combien de temps avez-vous préparé votre concours ?

Vitali Calistru : J’ai préparé mon concours pendant 2 ans environ de manière individuelle sans suivre aucune formation. En temps de travail effectif je dirais entre 2 et 3 mois parce que j’enchainais avec 2 jobs en même temps, je faisais de la livraison le matin et je travaillais comme barman dans un restaurant le soir.

Un diplômé qui vient de l’étranger et sans expérience de travail peut-il obtenir un emploi dans l’administration publique française? La nationalité est-elle une condition d’accès à la fonction publique ?

Vitali Calistru :  La nationalité n’est pas une condition d’accès à la fonction publique pour les ressortissants de l’UE. En tant qu’européen on a accès à l’ensemble des corps et emplois de la fonction publique sauf pour certains métiers sensibles qui sont réservés aux citoyens français.

Concernant l’expérience, la seule chose à faire est de prouver pendant les 3 étapes du concours qu’on est meilleur que les autres participants ce qui n’est pas une chose simple vu qu’on est en concurrence avec des Français qui ont vécu et étudié en France toute leur vie.

Quels conseils pouvez-vous donner aux personnes qui souhaitent intégrer la fonction publique? 

Vitali Calistru : Pour bien se préparer au concours il faut d’abord combattre le facteur qui nous pénalise le plus : le complexe d’infériorité qu’on nourrit devant le faible taux de réussite. A titre d’exemple, le taux d’admissibilité au concours que j’ai réussi a été d’environ 10 %. (deux mille candidats ont été admis parmi les 20 mille inscrits).

Ensuite, il faut travailler, il n’y a pas de solution miracle en France, pour réussir il faut se préparer et on ne peut pas compter sur l’indulgence des examinateurs ou sur des relations quelles qu’elles soient. Le jury sélectionne toujours les citoyens avisés et curieux, ceux qui font des efforts et qui sont préparés.

Et enfin, la plus importante condition pour réussir le concours est de se présenter. Il faut se présenter, essayer, échouer, apprendre et rectifier ce qu’on a appris année après année.

Selon vous, quel devrait être le caractère d’un fonctionnaire public pour avoir une grande carrière ? Quelles compétences professionnelles et quelles qualités humaines devraient-ils posséder?

Vitali Calistru : Pour être un très bon fonctionnaire il faut faire 3 choses : être gentil, ponctuel et faire bien son travail.

Être gentil permet de se faire une bonne image auprès des supérieurs hiérarchiques et des collègues, sur le principe : ‘Tout le monde est intelligent ici, pour se distinguer il faut être gentil.’

Être ponctuel permet de créer une relation de confiance avec les contribuables et les collègues.

Et faire bien son travail, qui recouvre à la fois la possession de qualités relationnelles et des compétences techniques propres au métier, nous aide à prendre confiance et à évoluer plus rapidement vers des postes à hautes responsabilités.

En plus de tout cela, un agent du service public doit être doté d’un bon sens pratique et d’un souci constant du respect de la réglementation et de la déontologie.

Pour avoir une grande carrière, un fonctionnaire doit se consacrer entièrement tout au long de sa vie à ses fonctions.

En tant que fonctionnaire, vous êtes au service du public. La fonction publique attire des personnes par sa stabilité et ses avantages. Quels avantages avez-vous ? À quel point pensez-vous que c’est important ?

Vitali Calistru : La fonction publique est avant tout synonyme de sécurité de l’emploi, avec le fameux statut du fonctionnaire, et le Covid-19 vient renforcer ce sentiment.

Parmi les autres avantages on trouve :

– une vraie possibilité d’évolution qui permet aux agents, après quelques années d’exercice, de candidater aux concours internes et d’obtenir un poste dans la catégorie supérieure mais aussi de demander une mutation pour travailler dans un autre service, ville ou Ministère.

– le sentiment d’appartenance à un corps d’Etat et le fait de représenter la Nation dans le Service Public

– des aides au logement et un régime de retraite avantageux.

– la possibilité de s’offrir un équilibre entre vie professionnelle/vie privée avec des différentes formules d’organisation du temps de travail comme les horaires variables, compte épargne temps, temps partiel, télétravail.

La pandémie a déjà affecté la mondialisation. Mais comment votre travail est-il affecté pendant cette période de COVID-19 ?  

Vitali Calistru : Au niveau macro, on sent les effets de la pandémie à cause des restrictions budgétaires. Il y a une grande et constante pression pour dépenser moins et optimiser chaque projet et action.

Au niveau micro, l’application des gestes barrières quotidiens et la procédure spéciale COVID nous fait perdre du temps et ralentit encore plus la machine bureaucratique qui à la base est déjà très lente.

La fonction publique en 2020 : 5,526 millions d’agents publics. Comment voyez-vous la fonction publique dans vingt ans ?

Vitali Calistru : Selon l’OCDE, près de la moitié des emplois pourraient disparaître ou changer radicalement au cours des 15 à 20 prochaines années et la fonction publique en fait partie.

C’est compliqué de donner des pronostics mais une chose est sûre : beaucoup d’emplois vont être supprimés et les fonctionnaires devront s’adapter, se former et se ‘transformer’ tout au long de leur vie professionnelle.

Dans quelle mesure êtes-vous satisfait de votre emploi? Comment envisagez-vous votre avenir professionnel ?

Vitali Calistru : Je suis satisfait parce que je me sens en sécurité. Cela peut paraître contradictoire mais se sentir en sécurité me donne plus de liberté. Je me sens libre d’agir, de choisir et faire ce que je veux parce que ce statut de fonctionnaire me donne plus de crédibilité en rapport avec les banques et tout autre type d’interlocuteur à qui on peut avoir affaire pour réaliser nos projets. Pour un étranger, être crédible et gagner la confiance des autres n’est pas la chose la plus facile à faire en France. Ce statut m’a offert cette crédibilité et je suis très reconnaissant.

Concernant mon avenir, je me suis inscrit cette année à un autre concours et je vais continuer dans ce rythme tous les ans pour passer dans les grades suivants, de Contrôleur des Finances, Inspecteur, etc.

Que conseillez-vous aux personnes qui choisissent de consacrer leur vie à la fonction publique?

Vitali Calistru : Je n’ai pas assez de recul pour donner des conseils avisés étant donné que je travaille que depuis 2 ans dans la fonction publique, mais je peux leur suggérer quelques recommandations:

– Si vous avez fait ce choix, respectez-le et soyez fiers.

– fixez-vous des objectifs à court et long terme pour avoir une direction claire dans ce monde imprévisible.

– souriez, soyez reconnaissants et cessez de vous plaindre parce que vous faites quand même partie d’une catégorie privilégiée et vous exercez des fonctions régaliennes de l’État français.

Propos recueillis par Ana Scripliuc

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