République de Moldavie : toujours pas préparée à répondre aux besoins des victimes de violences sexuelles
Même si les autorités moldaves ont signé la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (connue sous le nom de «Convention d’Istanbul»), jusqu’à présent, le Parlement moldave n’a pas ratifié la Convention. Ainsi, des milliers de femmes dans ce pays continuent d’être soumises à des comportements agressifs et violents et personne, malheureusement, ne leur vient en aide.
La République de Moldavie est un petit pays de l’Europe de l’Est, occupé pendant des décennies par l’ex URSS, avec une population d’environ 2,7 millions d’habitants, dont presque 1 million s’est installé ou travaille à l’étranger. En pleine évolution, les femmes moldaves reprennent leurs droits sur leurs propres vies. Un procès encore très timide.
Dans ce pays, dominé par la corruption et la pauvreté, la violence sexuelle reste l’une des formes de violence les moins reconnues et signalées. De nombreux cas ne sont pas signalés aux forces de l’ordre, à cause de la peur ou le manque de confiance.
Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la violence sexuelle est tout acte sexuel, ou toute tentative d’acte sexuel non désiré, dans lequel l’agresseur initie des avances ou du harcèlement sexuel par la coercition. Cela peut se produire de manière répétitive et se manifester par des tentatives moins violentes, cependant, qui affectent psychologiquement les survivants. En même temps, l’agresseur peut être toute personne de l’entourage du survivant ou de la survivante, dans n’importe quel contexte, y compris au travail, dans les espaces publics, dans les établissements d’enseignement, de loisirs mais aussi à la maison.
Une femme sur six en Moldavie, âgée de 15 à 64 ans (63,4%), a été victime d’une forme de violence au cours de sa vie de la part de son mari ou conjoint. Environ 19% d’entre eux ont été victimes de violences sexuelles, tandis que dans le cas de 12,3% des femmes, trois formes cumulatives de violence (psychologique, physique et sexuelle) ont été appliquées par leur conjoint, selon l’étude « Le profil des femmes victimes de violence » (2016) réalisée par le Bureau national des statistiques.
L’étude „ Les hommes et l’égalité des sexes en République de Moldavie” menée par le Centre pour les droits des femmes (CDF), indique que près d’un homme sur cinq a eu des relations sexuelles avec une fille / femme, sans qu’elle le veuille, et près d’un homme sur quatre – avec une fille / femme qui était trop ivre pour dire qu’elle ne voulait pas.
L’étude montre également que 18% des hommes ont admis avoir utilisé la force pour avoir des relations sexuelles avec leur petite amie / épouse, tandis que 14% des répondants ont utilisé la force pour avoir des relations sexuelles avec leur ex-compagne ou ex-épouse.
Au cours de neuf mois de 2019, la police a enregistré 475 délits liés à la vie sexuelle (sans préciser qui étaient les victimes – femmes, hommes ou enfants), dont 239 cas de viols et 234 actes de violence sexuelle.
La violence sexuelle dans les couples – un problème spécifique
La violence sexuelle dans les couples en tant que forme de violence physique grave, est en soi un problème spécifique, qui nécessite une approche distincte dans le cadre politiques de prévention et de lutte contre la violence domestique. Ainsi, les données existantes rapportent qu’environ 19% des femmes âgées de 15 à 65 ans (19,4% dans les zones rurales et 17,8% des zones urbaines) au cours de leur vie ont été au moins une fois victimes de violences sexuelles de la part de leur conjoint, et environ 4% d’entre elles au cours des 12 derniers mois (5% en zone rurale et 3% en zone urbaine). L’incidence du phénomène est plus élevée chez les femmes divorcées ou séparées (41%) et plus faible chez les femmes mariées (15,8%).
La probabilité de cas de violence sexuelle augmente avec l’âge, les taux de prévalence les plus élevés étant enregistrés pour les femmes âgées de 35 à 59 ans (plus de 1/5 des cas). Recalculé dans la population féminine âgée de 15 à 65 ans, on peut supposer que, chaque année, plus de 50 000 femmes sont victimes de violences sexuelles en couple, soit plus de 1 500 cas pour 100 000 femmes.
La Convention d’Istanbul toujours pas ratifiée en Moldavie
Le 6 février 2017, la République de Moldova a franchi une étape importante dans l’éradication de la violence domestique et sexiste. A Strasbourg, les autorités moldaves ont signé la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique («Convention d’Istanbul»). Ainsi, la République de Moldavie est devenue le 44e État signataire du traité.
Cependant, jusqu’à présent, la Moldavie n’a pas ratifié la Convention.
« Malheureusement, en 2020, aucune mesure n’a été prise pour l’examiner et l’adopter. C’est un fait absolument injustifié. Des milliers de femmes dans le pays continuent d’être soumises à des comportements agressifs et violents et personne, malheureusement, ne leur vient en aide. De plus, pendant la pandémie, les droits des femmes se sont détériorés. Les appels à la ligne verte pour les victimes de violence domestique ont augmenté de 30%. J’ai vu de nombreuses félicitations de la part des politiciens moldaves le 8 mars, à l’occasion de la Journée Internationale des droits des femmes. Si nous voulons vraiment aider les femmes, ratifions la Convention sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes » a déclaré Doina Gherman, présidente de la Commission parlementaire des droits de l’homme après avoir proposé à ses collègues de ratifier la Convention.
Le sujet a resté gelé au moins un an à cause de la crise politique dans ce pays ex-soviétique. De nouvelles élections législatives ont eu lieu le 11 juillet 2021. Et on s’attendre à ce que ce sujet reviendra à l’attention de nouveaux députés.
Comment répondre aux besoins des victimes de violences sexuelles?
Avec la ratification de la Convention, les autorités nationales seront obligées de fournir des services de protection des victimes (femmes et hommes, même si les femmes sont plus exposées à la violence) et de leurs enfants : fournir un refuge, créer une ligne verte opérationnelle en continu, fournir une assistance, une aide juridique et des soins de santé, créer un mécanisme pour assurer l’indemnisation des victimes de violence domestique, etc.
L’article 25 de la Convention stipule que l’État doit apporter un soutien aux victimes de violences sexuelles: « Les Parties prennent les mesures législatives ou autres nécessaires pour prévoir la création de centres d’orientation en cas de viol ou de violence sexuelle – appropriés, facilement accessibles, en un nombre suffisant pour assurer un examen médical et médico-légal, une assistance post-traumatique et des conseils aux victimes”.
En Moldavie, il n’existe pas actuellement de services spécialisés pour les personnes qui ont été soumises à la violence sexuelle. Les victimes d’une telle expérience sont généralement placées et conseillées dans des centres qui offrent des services aux victimes de violence domestique ou aux victimes de la traite des êtres humains, créés et gérés par des organisations non gouvernementales (ONG).
Daniela Misail-Nichitin, directrice du programme pour les femmes au Centre international « La Strada », estime que le manque d’argent dans le budget national ou local n’est pas une excuse pour retarder la ratification et la mise en œuvre de cette Convention.
« L’Etat doit assumer cette responsabilité. Les autorités peuvent négocier avec des partenaires de développement, avec des organisations internationales, qui pourraient, pendant un certain temps, soutenir la création et le maintien de ces services. Il est regrettable que le développement des services aux victimes de violences sexuelles ne figure pas parmi les priorités du Gouvernement et du Parlement. Il n’y a pas besoin d’institutions coûteuses. Il est important de trouver une formule de réponse efficace aux besoins de ces personnes », souligne-t-elle.
En outre, Daniela Misail-Nichitin affirme que la République de Moldavie s’est engagée à créer des centres d’assistance aux victimes de violences sexuelles lors de l’adoption de la loi no. 137 sur la réadaptation des victimes de la criminalité, qui est entré en vigueur en mars 2017.
Le document stipule que «la réadaptation des victimes de la criminalité, ainsi que leurs droits, passe par la mise à disposition de services de soutien. Les services de soutien sont des services, publics ou privés, offerts aux victimes d’abus, de violence physique, mentale ou sexuelle ».
L’avocat d’une autre ONG, Promo-LEX, Ștefan Orbu, déclare que la ratification de la Convention sera une étape importante pour notre pays. D’un point de vue juridique, la procédure est la suivante :
1.Ratification de la Convention.
2.Adoption de la loi de ratification.
3.Amendement / adoption de lois qui corroboreront avec la Convention d’Istanbul.
4.Établir le concept de services de soutien.
« L’État aurait l’obligation de mettre en place, dans tout le territoire, des services qui couvriraient les besoins des victimes de violences sexuelles. Le fait qu’une ONG fournisse des services similaires ne remplace pas l’obligation de l’État de mettre en place les mesures nécessaires pour protéger les victimes de violences sexuelles. Nous entendons dire qu’il n’y a pas d’argent pour construire des centres pour travailler avec les victimes de viol, mais nous avons de l’argent pour payer des indemnités aux victimes de viol qui se rendent à la CEDH (Cour européenne des droits de l’homme). Le stress psychologique que subit la victime est difficile à imaginer. C’est l’obligation de l’Etat de contribuer à remédier aux problèmes respectifs », a ajouté Ștefan Orbu.
Intervention en cas de violence sexuelle – actions immédiates, présence de personnel bien formé et spécialisé
Les victimes de violences sexuelles, y compris celles qui ont été violées, ont besoin de services spécifiques, différents de ceux destinés aux personnes n’ayant subi que des violences physiques, psychologiques ou économiques.
Avec plus de 10 ans d’expérience dans le domaine de la violence sexiste et de la violence domestique, l’avocate Olga Ojog, affirme que les victimes de violences sexuelles ont besoin de centres accessibles, de soins médicaux immédiats, d’un examen médico-légal et de la présence de personnel spécialisé.
« En cas de violence sexuelle, l’examen médico-légal doit être effectué d’urgence, dans les deux premiers jours. Sinon, les preuves disparaissent et vous ne pouvez en aucun cas prouver les actions de l’agresseur. Et des conseils psychologiques seront fournis à long terme par un personnel bien formé et spécialisé. Il est recommandé que le psychologue soit une femme (il y a des exceptions). Les victimes peuvent résister à un homme, le percevant comme « tout comme les autres hommes qui poursuivent la même chose ». La violence sexuelle est un sujet honteux, c’est pourquoi le personnel ne touchera pas la victime, il utilisera un vocabulaire spécifique, sans offenser ni mettre d’étiquettes », explique-t-elle.
Les pays du Conseil de l’Europe qui n’ont pas ratifié à ce jour la Convention d’Istanbul
La Convention sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, le traité international le plus exhaustif en matière de lutte contre la violence à l’égard des femmes, a été adoptée par le Conseil de l’Europe en 2011. Elle est aussi appelée la Convention d’Istanbul du nom de la ville où elle a été ouverte à la signature. Trois ans plus tard, le 1er août 2014, elle est entrée en vigueur après sa 10e ratification. A ce jour, trente-quatre Etats membres du Conseil de l’Europe l’ont ratifiée, douze l’ont signée – y compris l’Union européenne et un pays – la Turquie la dénoncé (22 mas 2021) indique le Conseil de l’Europe sur son site internet.
Au 23 mars 2021, 6 États membres de l’UE n’ont toujours pas ratifié la Convention d’Istanbul. Il s’agit de Bulgarie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, République tchèque, et Slovaquie. Les pays hors-UE qui n’ont pas ratifié la Convention sont : l’Arménie, le Liechtenstein, la Moldavie, le Royaume Uni, la Turquie, l’Ukraine.
Selon la Commission européenne, une femme sur trois dans l’UE a été victime de violence physique et/ou sexuelle depuis l’âge de 15 ans, plus de la moitié ont fait l’objet de harcèlement sexuel et une sur vingt a été violée.
En outre, le Conseil de l’Europe précise qu’au cours des 10 dernières années, la convention a aidé de nombreux États à faire progresser leur législation et leurs politiques afin de prévenir et de combattre efficacement la violence à l’égard des femmes.