Interview avec Veronique North-Mincà, ancienne diplomate (3/3) « Dans la grande famille latine, les Roumains sont nos cousins »
« Dans la grande famille latine, les Roumains sont nos cousins. Proximité de langue et proximité de cœur. »

Véronique North-Mincà, ancien chef-adjoint de mission diplomatique (Ambassade de France à Chişinau, 2006-2010). A rejoint le Ministère français des affaires étrangères en 1980. A exercé aussi bien en administration centrale (Quai d’Orsay) qu’en diverses capacités dans les représentations diplomatiques et consulaires françaises en Roumanie, au Royaume-Uni, au Canada, en Allemagne, en République de Moldavie et en Bulgarie. A la retraite depuis 2015, elle s’est installée dans le sud-ouest de la France, au Pays basque, avec son époux. Elle garde un intérêt marqué pour l’actualité internationale et conserve de fortes attaches dans tous les pays dans lesquels elle a exercé et où elle a noué des amitiés précieuses qu’elle continue à entretenir. Son hobby est depuis toujours la photographie à laquelle est s’adonne pour son propre plaisir mais aussi en soutien à des associations locales à but non lucratif promotrices de la ruralité et des traditions populaires du Sud-Ouest.
ER NEWS France: En tant que diplomate ayant exercé en Roumanie et en Moldavie, quelle est l’image de la communauté roumaine en France ?

La Roumanie a laissé en héritage à la France quelques figures majeures des arts et des lettres : Eugène Ionesco et son théâtre de l’absurde, la Grande Elvire (Popesco) dont l’inimitable accent rrrroucoulant a conquis la France entière, le philosophe Emil Cioran et ses noirceurs existentielles, le génie avant-gardiste « Brancouzi » (Constantin Brâncuși) comme l’appellent les Français, le virtuose Georges Enesco qui prêta son talent de compositeur à la célèbre Alouette dans sa Rhapsodie roumaine, et tant d’autres. Peu de Français savent aujourd’hui que des personnalités célèbres qu’ils connaissent ont des racines roumaines tels le journaliste et présentateur Michel Drucker, l’actrice Michèle Laroque, des hommes politiques comme Jean-François Copé ou Pierre Moscovici ou encore le compositeur de tant de musiques de films, Vladimir Cosma, dont les parents ont fui les pogroms de l’époque tsariste ou les persécutions communistes pour trouver refuge dans notre pays.
Combien savent que l’on doit, en France, l’abolition de la peine de mort en 1981 à l’une des plus grandes voix de la défense des Droits de l’Homme, l’ancien Garde des Sceaux Robert Badinter dont la famille a fui les exactions de la Bessarabie russe, dominée par le régime tsariste. Dans la grande famille latine, les Roumains sont nos cousins. Proximité de langue et proximité de cœur. Ce qui a permis à tant d’entre eux de reprendre pied suite aux drames qu’ils ont pu vivre, de se reconstruire, de s’intégrer rapidement et pour beaucoup d’entre eux d’embrasser une nouvelle patrie. La Roumanie a énormément apporté à la France et continue de le faire d’une autre manière aujourd’hui.
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Membre de l’UE depuis le 1er janvier 2007, la Roumanie est aujourd’hui un pays ouvert et les échanges sont nombreux. Les Moldaves de République de Moldavie qui ont réintégré la nationalité roumaine et sont porteurs d’un passeport roumain font également partie intégrante de ces échanges. La communauté roumaine en France, estimée à plusieurs centaines de milliers de personnes, est essentiellement composée d’étudiants, d’artistes, d’écrivains et de journalistes ainsi que de travailleurs spécialisés dans le bâtiment, les travaux agricoles ou le transport où ils sont appréciés pour leurs compétences et leur sérieux. Cette présence roumaine en France est également contributrice des économies roumaine et moldave au travers des transferts d’argent vers leurs familles d’origine restées au pays et avec lesquelles ils gardent des liens très forts.

Quant aux a priori défavorables qui existent au sein d’une frange de la population française à leur égard, ils sont principalement dus à l’ignorance et à une méconnaissance de l’autre. Les mêmes a priori s’expriment d’ailleurs pour les mêmes raisons par ces mêmes individus à l’encontre d’autres étrangers vivant sur le sol français.
La France, terre d’accueil. Est-ce vrai?
La France est et reste une terre d’accueil même si elle « ne peut », comme le disait Michel Rocard, « accueillir toute la misère du monde » dans un discours à l’l’Assemblée Nationale en juin 1989 avant de préciser son propos: «Il y a, en effet, dans le monde trop de drames, de pauvreté, de famine pour que l’Europe et la France puissent accueillir tous ceux que la misère pousse vers elles». C’était en 1989.
Nous sommes en 2020 et entre-temps les guerres déversant sur les routes du Moyen-Orient et de l’Europe des millions de personnes sont venues s’ajouter aux famines pendant que les catastrophes naturelles mettaient en danger l’existence même de certains pays. Les conditions de vie dans une bonne partie de notre monde sont de plus en plus insupportables, notamment sous des régimes autocratiques quand ils ne sont pas tout bonnement dictatoriaux. La gabegie et la mauvaise gestion compromettent le développement de régions entières du globe, privant de facto les jeunes générations d’un avenir. Rien de plus étonnant à ce qu’ils prennent le chemin de l’exil vers un hypothétique eldorado.

Tantôt pointée du doigt par des politiques pour son « laxisme », tantôt par des associations pour sa « dureté », la France continue à accueillir sur son sol des immigrés à des titres divers. Le regroupement familial, tout d’abord, même si en proportion, sa part dans les motifs d’attribution d’un titre de séjour a fortement diminué au cours des 10 dernières années. Selon, l’INSEE, en 2018, 89.185 titres de séjour ont été accordés dans ce cadre. Concernant les titres de séjour pour études, la France en a délivré 82.580 en 2018, soit le double par rapport à l’année précédente. Quant au titre de « réfugié », il a été attribué pour raison humanitaire à près de 36.000 demandeurs d’asile et réfugiés. Ce chiffre est toutefois en baisse depuis 2017, après une très forte hausse liée à la crise des réfugiés de 2015. Enfin, toujours en 2018, 32.000 ressortissants étrangers ont bénéficié d’un titre de séjour pour motif économique. A titre de comparaison, ils étaient moins de 12.000 en 2007. Même s’il faut reconnaître que le nombre de titres de réfugié a fortement baissé, alors que le nombre de demandes d’asile était en constante augmentation au cours des dernières années, la France est et reste une terre d’asile, sous certaines conditions.
On entend souvent que la société française s’est dégradée dans les dernières décennies, que les Français perdent leur culture et les valeurs de la République. A quel point se justifie cette pensée?
Il est vrai qu’on entend de plus en plus ce genre de propos alimentés par des extrêmes à la recherche de boucs-émissaires qui ne sont bons qu’à endosser leurs propres échecs. Nous parlions plus haut du Camembert et du bon vin. Est-ce si terrible que cela de faire connaissance de saveurs venues d’ailleurs? En quoi rencontrer et côtoyer d’autres cultures vous enlève-t-il la vôtre ? Le métissage met-il la race humaine en danger ? N’est-il pas plus enrichissant de découvrir l’autre et plus stimulant d’échanger, plutôt que de vivre dans un entre-soi qui frise la consanguinité intellectuelle ? Alors cet autre, à bien y regarder et si on veut bien s’en donner la peine, n’est finalement que notre égal dans une enveloppe d’une autre couleur.
Il est étonnant de constater que les votes extrêmes, en France, sont généralement comptabilisés dans des communes qui ne connaissent pas l’immigration, alors que les zones à fort métissage se partagent les voix centristes de gauche comme de droite.

Quel avenir souhaitez-vous pour la France?
A l’issue de la crise sanitaire majeure que nous venons de traverser, je souhaite avant tout que la France retrouve une forme de normalité en apprenant à vivre avec la COVID-19 qui, ne l’oublions pas, circule toujours, à l’affût du moindre relâchement prête à punir les contrevenants et leurs innocentes victimes. Je forme le vœu que nous ayons la volonté, la force et l’entrain nécessaires pour aider la France à se relever. Nous en sommes capables. Il faudra pour cela faire abstraction de nos divisions et de nos incessantes revendications catégorielles. Ce temps-là reviendra, mais plus tard. En attendant, à chacun de contribuer, à la mesure de ses moyens, à la reconstruction de nos capacités industrielles et économiques, en faisant preuve de vision et de sagesse. Politiques, comme citoyens.
Propos recueillis par Elena Robu