(Immigration en France) Un jeune homme de Moldavie témoigne : « J’ai eu l’expérience de longues années difficiles et pleines d’épreuves »
En France, selon une définition du Haut Conseil à l’Intégration, un immigré est une personne née étrangère à l’étranger et résidant en France. C’est le cas d’un jeune de République de Moldavie, Toma Savițki, qui fait partie de la génération d’enfants qui sont restés seuls à la maison. Ses parents sont partis en République tchèque quand il avait quatorze ans. Il a fallu trois ans pour qu’ils créent les conditions pour l’emmener avec eux. À l’âge de dix-sept ans, Toma Savițki était déjà élève au lycée Johan Gregor Mendel de Brno, en République tchèque.
Le lien avec la France s’est produit à l’age de 20 ans, quand il a été admis à l’Université de Picardie Jules Verne à Amiens. « J’ai eu l’expérience de cinq longues années difficiles et pleines d’épreuves », témoigne le jeune moldave pour ER NEWS France. Actuellement, Toma Savițki habite à Paris.
Voici son témoignage émouvant sur son expérience en tant qu’étranger en France:
En effet, je n’ai jamais choisi exprès ou y aller. Après avoir obtenu Maturita (l’équivalent tchèque d’un baccalauréat) je commencé à appliquer à l’université. Pour diverses raisons bureaucratiques, je n’ai pas pu postuler à temps pour la faculté qui m’intéressait – l’Économie. C’est pourquoi j’ai commencé à postuler en dehors de la République tchèque. Bien que ma première cible soit les Pays-Bas, un ancien camarade de classe de Tighina qui était déjà étudiant à Paris m’a convaincu de postuler à une université en France. Avec des ressources limitées, l’avantage financier a prévalu. Par rapport aux Pays-Bas, en France les études sont presque gratuites.
J’ai eu l’expérience de cinq longues années difficiles et pleines des épreuves. J’ai été admis à l’Université de Picardie Jules Verne à Amiens. Une petite ville en briques rouges presque entièrement reconstruite après la Seconde Guerre mondiale. En plus du temps pluvieux, cette ville avait également un autre inconvénient – sur les plus de 130 000 habitants, plus de 30 000 étaient étudiants. Donc, tous les trois ans que j’habitais là-bas, j’envoyais (je n’exagère pas) plus de 1000 CV pour trouver un job étudiant. Mais en fait, je faisais partie des 30 000 étudiants qui faisaient la même chose. En plus je parlais mal français ce qui évidement ne m’aide pas du tout. Finalement, je n’ai pas pu trouver un emploi. Pour diverses raisons bureaucratiques, je n’ai pas pu obtenir de bourse non plus.
J’ai eu trois ans très compliqués. J’ai survécu grâce aux petites sommes d’argent que mes parents m’ont envoyées. Et pourtant, il y avait un énorme avantage – la qualité des études. Les études était d’une très bonne qualité. J’ai choisi exprès les parcours les plus difficiles. C’est pourquoi j’ai passé mon temps à l’université de neuf heures du matin jusqu’à neuf heures du soir (le samedi, j’avais des cours commençant à huit heures du matin jusqu’à midi). Après trois ans d’études à Amiens j’ai postulé à un Master en Economie Appliquée à Paris à l’Université Paris-Nanterre.
Paris s’était une brise d’air frais d’un point de vue financier et social. Bien que ma situation soit restée assez précaire, à Paris, j’ai trouvé facilement un emplois. J’ai trouvé vraiment beaucoup d’opportunités. À un moment donné, j’ai cumulé tellement de jobs que je n’avais plus du temps libre. J’ai eu deux années d’alternance entre l’université, la bibliothèque et le travail. Comme le Paris c’est le cœur du pays il y a avait une abondance spectaculaire des expositions, des concerts, des festivals, des événements divers dans le domaine de l’art, des sciences, de la politique, etc. Le paradigme c’est inversé – la situation financière dépendait que de mon volonté de travailler et l’abondance de la vie sociale dépendait que de la quantité du temps libre. En même temps, la qualité des études était formidable. J’avais de très bons professeurs, vraiment passionnés par leur travail. Je pouvais rester des heures à discuter avec eux. Cela m’a laissé une très bonne impression.
J’ai obtenu un job à l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) tout simplement en envoyant ma candidature. En 2016 j’ai terminé mes études de Master et j’ai décidé de faire un stage. J’ai envoyé mon CV à l’OCDE et dans quelques mois j’ai été contacté. J’ai également été contacté par la section économique du bureau des Nations Unies à Beyrouth. Mais par rapport à l’OCDE, l’ONU ne paie pas ses stagiaires. Et je ne voulais pas revenir à la situation que j’ai vécu en Amiens. L’OCDE a été ma première expérience professionnelle en économie. Le plus compliqué a été de me transférer mentalement d’un monde francophone dans un monde anglophone qui était dominant à l’OCDE. Mais une fois que j’ai réussi, tout est devenu très facile. Relativement facile bien sûr. Il y avait la partie captivante, qui consiste dans l’analyse proprement dite des politiques, la partie politique et administrative est également intervenue, comme dans toute organisation internationale. Une fois les 6 mois de stage terminés, on m’a proposé de rester dans l’organisation. Et je suis restés jusqu’en 2019. J’ai vécu trois ans pleins d’expérience, en analysant des politiques dans divers domaines – secteur financier, diversification économique, économie industrielle, éducation, immigration, entreprises publiques, etc.
D’une manière générale, la République de Moldavie est invisible à l’OCDE. La Moldavie n’est pas l’un des 37 États membres de l’OCDE et même pas l’un des 56 États membres du Centre de développement de l’OCDE avec lesquels l’OCDE collabore dans une certaine mesure. Malgré cette invisibilité, il existe certains projets avec la République de Moldavie qui sont le plus souvent financés par l’UE. Je faisais partie d’un tel projet à un moment donné. Il s’agit du Youth Inclusion Project – une étude sur l’inclusion sociale, politique et économique des jeunes en République de Moldavie. Je dois avouer, en tant que co-auteur de cette étude, cela m’a attristé de voir l’état déplorable de ce domaine en République de Moldavie. Cette situation difficile est donc le plus souvent due au manque de ressources humaines et financières pour mettre en œuvre les politiques.
En tout cas, si nous laissons de côté la rhétorique officielle de l’organisation et faisons une synthèse de ce qui est dit dans les couloirs, la République de Moldavie est considérée comme un État post-colonial sans expérience historique de l’autonomie gouvernementale (je cite ici presque mot-à- mot l’opinion de certains de mes responsables avec qui je discutais à l’heure du déjeuner).
En ce qui concerne mon job chez Société Générale, malheureusement, je ne peux pas dire grand-chose étant donné que je suis obligé de garder secrète mon activité à la banque. D’une manière générale, je peux dire que ce fut une expérience précieuse. Nous travaillons dans le département où on octroie des prêts aux grandes entreprises, institutions, villes, etc. Il s’agissait de financer l’activité des entreprises, la construction de métros et autres infrastructures, le financement dans le domaine du transport maritime, etc. J’étais fasciné. En regardant l’écran de l’ordinateur, j’ai cru voir l’économie mondiale en marche. Le plus stressant, je pense, a été la conscience d’avoir travailler avec des chiffres comme deux milliards d’euros, trois milliards d’euros, etc. Cette fonction m’a profondément changé. J’avais commencé à devenir «très vigilant», pour ne pas dire paranoïaque. Je pense que pour la première fois de ma vie, j’ai commencé à lire en détail tout ce que j’ai signé, à vérifier, à consulter les autres, à être plus discipliné au final.
J’essaie généralement d’être franc quand je parle de mon pays de naissance, la Moldavie. Je suis conscient qu’il est difficile de fasciner quelqu’un qui se repose dans les Alpes en hiver et sur la Côte d’Azur en été, qui vie dans un Etat qui existe depuis quinze siècles, qui a réinventé la république, qui a conquis militairement mais aussi d’un point de vue culturel la moitié du monde, qui envoie des navires dans l’espace et des expédition inédite dans les grandes profondeurs des océans, etc. Je leur explique la situation telle quelle, les problèmes géopolitiques, les problèmes de mentalité, les problèmes d’éducation, l’infériorité institutionnelle et économique, etc. En même temps, je n’exagère pas. Autrement dit, j’implique que nous ne sommes pas incapables de faire quoi que ce soit, nous ne sommes pas inférieurs, c’est-à-dire que nous sommes rien d’autre que le même Homo Sapiens. C’est juste que notre état est aussi un problème de conjoncture.
En effet, j’ai vécu deux chocs culturels en tant qu’immigrant. La première fois que j’ai émigré de la République de Moldavie en République tchèque. Là, j’ai trouvé une mentalité plutôt nordique. Les Tchèques, si on généralise, parlent peu, ils sont plus organisés, plus calmes et plus mélancoliques. Pendant trois ans, je me suis adapté et je me sentais comme chez moi. Quand j’ai émigré en France, c’était comme si j’étais revenu à mes origines. J’ai été frappé, pour ainsi dire, par la „latinité” des gens que j’ai trouvé ici. J’ai rencontré les mêmes « Roumains » qui gesticulent, parlent fort, si c’est le mauvais temps ils se plaignent que ce n’est pas le beau temps, si c’est le beau temps ils se plaignent que le mauvais temps arrive, ils aime beaucoup commenter leurs repas, etc … Seulement que ces « Roumains » parlent français. Bien sûr qu’il existe des nombreuses divergences fondamentales, telles que le respect de la loi, le respect des règles, le respect du patrimoine, le civisme, le respect de la vie privée et la conscience que tout ce qu’on viens énumérer sont le fondements d’une grande nation.
Quant à notre diaspora moldave, je me sens plus comme un réfugié que comme un membre de la diaspora. Bien que, évidemment, j’ai quitté le pays volontairement, je ne l’ai pas fait avec une grande joie, mais plutôt à cause des mauvaises conditions dans lesquelles je vivais. Compte tenu du fait que j’ai quitté le pays il y a la moitié de ma vie, je me rends compte que souvent quand je parle avec mes compatriotes, même si nous utilisons les mêmes mots, nous ne parlons plus la même langue. C’est peut-être parce que depuis j’ai émigré j’ai toujours vécu parmi les Français. À un moment donné, j’ai compris que je me sentais plus chez moi comme un étranger parmi les Français que comme un Roumain parmi les Moldaves.
Le moment le plus difficile vécu à l’étranger a été la solitude. Habituellement, la première année en République tchèque ou en France, j’étais seule. Je veux dire, j’étais déconnecté de la société. Je n’avais pas d’amis, je ne connaissais même pas la langue pour raconter une blague et stimuler ainsi une discussion avec quelqu’un, je ne connaissais pas l’étiquette ou les mœurs des lieux, je ne comprenais même pas comment j’étais perçu si je faisais un geste ou un autre. C’est absolument gênant quand on ne sait même pas comment saluer la personne. Faut-il lui serrer la main ou pas? Faut-il leur sourire ou pas? Par exemple, en République tchèque, on ne serre pas la main (si cela n’est pas un enveniment officiel), et je ne le savais pas. Habituellement, la première année est celle où on regarde attentivement, on fait des erreurs, on les répare et on continu à apprendre. Le deuxième moment difficile, c’est quand j’ai compris que je suis un étranger par excellence. Autrement dit, comme je l’ai mentionné ci-dessus, je me sens mieux d’être un étranger à l’étranger qu’un Roumain en République de Moldavie. Au début, cela m’a attristé, car cela voulait dire que je étais à la maison nul part. Mais à un moment donné, cela a cessé de m’attrister.
Mon plus grand rêve concernant la Moldavie serait que les Moldaves deviennent une société cohésive. C’est-à-dire qu’il développe une société qui est un mécanisme complexe guidé par des valeurs quelque peu définies, qui se ramifie selon une certaine logique, qui a une vision à long terme, à moyen et à court terme, qui suit un chemin quelque peu prévisible et intelligible. Une telle société sait ce qu’elle veut, elle sait comment obtenir ce qu’elle veut et elle est comprise par la communauté internationale.
Propos recueillis par Elena Robu